La spiritualité ancestrale des autochtones
Pendant si longtemps et si patiemment, les premiers peuples du monde ont attendu l’époque dans laquelle nous sommes aujourd’hui plongés. Chez les Premières nations anicinapek (tradition à laquelle j’appartiens), chez les peuples mohawks, maoris ou mayas, j’ai entendu des prophéties qui concordent mystérieusement :
« Un jour, disent essentiellement ces prophéties, après d’interminables difficultés pour nos peuples, l’homme blanc viendra frapper à notre porte. Ayant perdu l’équilibre, il nous demandera de lui parler de notre vision du monde, de notre relation à la Terre et au Cosmos. Alors viendra le temps de la réconciliation entre nous. Et si l’homme blanc fait les bons choix, l’humanité sera propulsée dans un grand mouvement de transformation et de renaissance. »
Selon la vision des aînés, quelle est cette perte d’équilibre ?
Si vous participez un jour à l’une de nos cérémonies des calumets, vous constaterez que ces objets sacrés sont constitués en deux parties : la pierre et le bâton représentant respectivement les aspects féminin et masculin. Lors de la cérémonie, nous réunissons ces deux parties, symbolisant ainsi toute la dynamique de la Création. Nous relions ce qui se divise trop souvent chez l’être humain et qui pourtant est à l’origine de toutes les naissances !
Ces deux parties cohabitent en nous : notre côté logique, notre pouvoir d’action et d’organisation, la science, l’esprit de conquête… C’est ce que nous appelons le masculin. L’être humain possède également en parallèle la capacité de collaborer, d’écouter, de faire silence pour entendre la voix de son intuition; il peut accéder à son pouvoir d’intériorité, de gestation et de créativité… C’est ce que nous appelons le féminin. Le premier est lié au Cosmos. Le second est lié à la Terre. Ce que les sages des peuples premiers s’empressent de nous dire depuis des siècles, c’est que l’être humain risque de se perdre s’il ne valorise pas bien ces deux pôles. S’il n’apprend pas à bien synchroniser le Ciel et la Terre en lui-même.
Les anciens de la lignée spirituelle à laquelle j’appartiens – celle de William Commanda, Tom Rankin et son fils T8aminik (Dominique) Rankin – savent que les hommes, les femmes et les êtres bispirituels du monde moderne sont fatigués; qu’ils sont stressés, voire angoissés, par la course folle dans laquelle ils se sentent piégés. Alors les anciens nous interpellent :
« Agissez-vous vraiment au maximum de vos possibilités ?
Si votre niveau d’énergie est constamment à plat, si votre boussole intérieure est déréglée, si vous tentez de tout contrôler dans l’extériorité, qu’êtes-vous en train de redonner au monde, au juste? Et qu’enseignez-vous à vos enfants ? »
Comme par hasard, les civilisations qui savaient honorer le féminin n’ont jamais détruit la Terre. Il va sans dire que la Terre a besoin de nous si nous voulons exister dans quelques décennies. L’évidence est là. Nous savons tous qu’il est urgent et impératif d’agir. Que pouvons-nous faire, demanderez-vous ? Bien sûr, mettre tout notre savoir-faire et notre science au service d’un futur durable. Mais du point de vue des anciens, cela ne suffit pas.
La crise climatique dans laquelle nous sommes plongés, la tendance grandissante à nous diviser et à entrer en guerre, de même que l’accroissement du sentiment d’anxiété chez nombre d’adultes et d’enfants sont le reflet de la crise climatique qui sévit dans le cœur et l’esprit des humains. C’est aussi à ce niveau que nous devons agir. Pas seulement à l’extérieur. Sinon, nous répéterons l’erreur!
À ce niveau, ce qu’il y a de merveilleux, c’est que nous pouvons tous agir individuellement : remettre de la douceur dans notre cœur; reprendre nos marques, bien ancrés sur terre, en renouant avec les sagesses anciennes; réapprendre à nous connecter à la nature pour faire taire le brouhaha dans notre tête; honorer nos médecines, c’est-à-dire nos dons et nos talents; découvrir que le seul espace où nous pouvons véritablement nous sentir en sécurité, vivant et créatif, c’est au cœur de la rivière profonde en nous-même, cette source illimitée que j’aime aussi appeler l’Intelligence de l’Amour.
Je me suis engagée sur les traces des ancêtres anicinapek parce que je sens l’urgence de me reconnecter à cet autre rivage de nous-mêmes que nos civilisations dites modernes ont évacué en écartant violemment la sagesse des peuples premiers. Cette violence imposée aux peuples autochtones, c’était en fait à nous tous que nous l’imposions !
Au-delà du mal qui a été fait, je vois aujourd’hui les prophéties des anciens se dérouler sous mes yeux. Cela me confirme que quelque chose de plus grand que nous est en marche. Je ressens une joie profonde de participer à ma manière au grand mouvement de réconciliation et de renaissance qui nous était prédit.
La vision spirituelle de Pierre Teilhard de Chardin
Quel est le rôle d’un guérisseur dans la spiritualité autochtone ?
Grand-père T8aminik et Marie-Josée Tardif ne vont jamais utiliser l’expression “guérisseur” dans le cadre de leur travail. Ils considèrent que cette expression est risquée car une personne venant vers eux dans un espoir de guérison pourrait leur remettre tout son pouvoir, alors que chacun d’entre nous doit être mis en contact avec son propre pouvoir intérieur.
On peut dire que leur rôle est de susciter un “espace de médecine” à l’intérieur duquel la personne pourra retrouver le chemin de sa propre connexion avec l’intelligence de la vie.
Comment transmettre de nos jours les connaissances spirituelles autochtones ?
Grand-père T8aminik, de même que son père, Tom Rankin, et son guide William Commanda ont toujours encouragé une vision très inclusive de la spiritualité autochtone. C’est pourquoi nous ne devrions jamais fermer la porte à celui ou celle qui ressent l’élan de découvrir et expérimenter nos traditions.
Par contre, en tant que gardiens d’une lignée de transmission qui n’a jamais été coupée, ils ont aussi le devoir de protéger certaines pratiques qui risqueraient trop de se diluer s’ils devaient tout transmettre à tout le monde à toute vitesse. C’est la raison pour laquelle ils se montrent parfois plus stricts quant à la transmission de certains enseignements, rituels ou objets sacrés tels que les calumets ou les tambours, par exemple. Ils respectent la coutume selon laquelle ce ne sont pas les élèves qui choisissent leur professeur mais bien les professeurs qui choisissent leurs élèves, pour la formation des futurs hommes et femmes médecine. Quand ces derniers acceptent le rôle qui leur est confié, cela signifie un engagement pour la vie et une transmission (orale et non écrite) qui s’effectue sur le très long terme.
Cela dit, ils encouragent avec joie toutes les personnes qui reçoivent leurs enseignements de base, dans le cadre de leurs activités ouvertes à tous, à les transposer à leur manière dans la modernité. Ils sentent que les sagesses millénaires dont ils protègent l’essence sont faites pour inspirer le monde de demain à créer ses propres médecines. Il s’agit simplement de rester qui vous êtes; de ne pas vous attribuer un rôle, un titre ou un savoir qui ne vous a pas été expressément confié par un aîné.
Comment préserver aujourd’hui les cultures des premiers peuples ?
Dans sa convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel et immatériel, l’UNESCO déclare: « Les communautés, en particulier les communautés autochtones, jouent un rôle important dans la production, la sauvegarde, l’entretien et la recréation du patrimoine culturel immatériel. » Malgré l’oppression vécue sur tous les continents, les peuples autochtones ont réussi à maintenir un patrimoine vivant, riche et varié. Tout comme il est urgent de protéger la Terre, il est urgent de protéger ces savoirs qui s’effilochent sous l’influence de la mondialisation et de l’essoufflement des aînés.
Une culture doit bien sûr évoluer et se transformer au gré de ses influences, mais un arbre ne peut pas s’élancer vers le ciel si ses racines ne sont pas en bonne santé. C’est dans cette optique que Grand-père T8aminik et Marie-Josée ont fondé Kina8at-Ensemble, de même que la Fondation Dominique Rankin.
Nous pouvons tous contribuer de diverses façons à leur mission, que ce soit en donnant de notre temps ou de notre argent, ou bien en participant aux activités qu’ils organisent: séjours de ressourcement, ateliers créatifs, grandes cérémonies, etc. Le fait de participer à ces activités contribuent à garder l’enseignement vivant.
Pour en savoir plus sur l’oeuvre de T8aminik et Marie-Josée.